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LE BREVETAGE

QUELLES LOIS ?




Introduction

Les lois régissant le brevetage des inventions concernant les technologies biologiques diffèrent selon les pays. Nous allons voir ici quelles règles encadrent les biotechnologies en Amérique, en Europe, les 2 principales régions où les brevets concernant le vivant sont déposés. La loi américaine est souvent considérée comme la plus souple. Le brevetage des inventions biotechnologiques est en Europe encadrée par la directive 98/44. Quand on parle du brevetage des OGM nous sommes forcément obligé d’évoquer le brevetabilité du vivant en général. Le premier organisme vivant breveter date des années 80. Mais qu’est-ce que la brevetabilité du vivant ? Ce type de brevets fait débat depuis les années 1990 date où les OGM et le séquençage des gènes se sont développés. Enfin, existe-t-il une loi internationale sur le brevetage des êtres vivants ?



1- En Amérique : une loi souple

Le début du brevet sur le vivant :

Le brevetage du vivant est une idée qui apparut en 1972 après la volonté d’une société américaine General Electric de breveter un organisme génétiquement modifié. Leur demande de brevet fut tout d’abord rejetée. Après de nombreux appels la société remonta jusqu'à la cour suprême. Cette dernière mit fin au conflit et accepta la demande. Ce fut le début du brevet sur un organisme vivant.

Dans sa décision, la cour suprême des USA fit une distinction entre les organismes vivants issus de la nature et ceux issus ou plus exactement fabriqués par l’homme. De plus, elle suivit la nouvelle dénomination du brevet aux Etats-Unis : le brevet d’utilité. Cette notion d’utilité est la notion la plus importante aux USA pour obtenir un brevet. Ainsi, l’USPTO (organisme chargé des brevets aux Etats-Unis) changea sa doctrine traditionnelle qui aboutissait à un refus total de brevetabilité du vivant pour autoriser les brevets sur les vivants qui comme le dit la cour suprême, portent sur des organismes vivants créés par l’homme. La conséquence fut immédiate et un brevet, le premier du genre, fut attribué à l’université de Standford pour sa découverte sur l’ADN. Cette décision, appelée Chakrabarty, annonce une nouvelle ère en matière de brevet.

Le biologiste devient un créateur, un ingénieur ou encore un inventeur car ses inventions sont maintenant brevetables. Revenons sur le brevet accordé à l’université de Standford. En premier lieu, ce brevet a constitué le premier programme de licence sur l’université, lequel s’est développé à un rythme accéléré. En 1996, on comptait plus de 300 licenciés dans le monde, pour un montant de royalties dépassant 250 millions de dollars, faisant de ce brevet l’un des brevets les plus profitables au monde (Burns et Sandelin, 1997). Cet épisode du brevet de Standford met l’eau à la bouche aux autres chercheurs et autres universités. La biologie devient rentable et elle se développe à grande vitesse, elle donne lieu à des découvertes majeures. Ce brevet est à l’origine de la première firme de biotechnologie. Cet épisode, intervenant quelques mois après la décision Chakrabarty marque le début des grandes firmes de biotechnologies quelles soient pharmaceutiques ou agroalimentaires.


Les nouvelles dispositions de l’USPTO :

En avril 1987, l’USPTO, reprenant la position de principe de la décision Chakrabarty, annonça officiellement sa nouvelle politique en matière de brevetabilité du vivant en déclarant que « The Patent and Trademark Office now considers nonnaturally occurring non-human multicellular living organisms, including animals, to be patentable subject matter within the scope of 35 U.S.C 101 » (USPTO, 1987). En clair, par cette annonce, ce sont tous les êtres vivants issus d’un processus non naturel, à l’exception de l’homme qui sont désormais reconnus comme potentiellement brevetables sous le régime des brevets d’utilité.

Cette notion d’utilité fut retravaillé par l’office américain des brevets après le flou juridique engendré par la demande de l’agence gouvernementale américaine, Institute of Health (NIH), qui déposa plusieurs brevets portant sur 2500 séquences partielles d’ADN exprimées dans le cerveau humain appelées « étiquettes de séquences exprimées » (pour « express sequences tag - EST ») ces EST sont de puissants outils de recherche utilisés à la fois pour l’identification des gènes et pour le séquençage de l’ensemble du génome ainsi que pour la recherche de cibles moléculaires d’intérêt thérapeutique.

Deux types de brevets sont apparus : les brevets sur des séquences partielles d’ADN et les brevets sur des gènes impliqués dans la survenue de maladies. Nous remarquons ici que les connaissances en elle-même sont brevetables. La frontière est dépassée : une invention et une découverte peuvent être breveter. Cette décision concerne évidemment les scientifiques et les biologistes car ces derniers ne sont pas des ingénieurs mais des chercheurs. Cette deuxième réforme, plus tardive de l’office américain des brevets, est une aide incontestable pour la commercialisation du vivant , elle est à l’origine avec la décision « Chakrabarty  » du développement des grandes firmes de biotechnologie, sous jacent les grandes firmes américaines commercialisant les OGM. En effet, sans brevet, il est impossible de tirer profit de découvertes ou d’inventions biologiques. Donc, cette décision permet les bénéfices monétaires sur le vivant.


- En ce qui concerne la notion de produit de l’homme :
C’est bien le produit de l’homme comme le stipule la loi Chakrabarty car « une molécule d’ADN isolée et purifiée c'est-à-dire un gène qui a la même séquence qu’un gène existant dans la nature, est éligible au brevet s’il a été isolé de son état naturel et purifié, ou s’il a été synthétisé dans un laboratoire. »

- En ce qui concerne leur utilité :
Les séquences partielles d’ADN : pour l’office américain, ces séquences le sont si elles peuvent produire une protéine utile ou un hybride proche et peuvent servir de marqueur pour un gène de maladie. Ici, nous remarquons que les outils de recherche sont brevetables. En ce qui concerne les gènes « quiconque qui découvre un gène est autorisé à obtenir un brevet large couvrant plusieurs applications possibles même si leur utilisation n’est pas démontrée ».
Dès lors, il est possible de détenir un gène mais aussi toutes ses applications potentielles.
Quant aux gènes responsables de maladie, ils sont brevetables car c’est souvent la mise en avant de l’utilisation potentielle des mutations du gène pour la détection de prédispositions génétiques chez les individus qui permet de satisfaire au critère d’utilité. Ces gènes sont en effet très importants car ils nous informent de l’origine de la maladie, et sont un espoir de guérison pour les malades.
Pour conclure, en Amérique (Etats-Unis), il est possible de breveter des découvertes scientifiques et des êtres vivants créés par l’homme à condition que leur utilité soit démontré. Le relâchement du critère d’utilité en 2001 qui aboutit directement à l’autorisation de breveter des découvertes universelles montre à quel point le droit américain est l’un des plus large et plus attractif au monde.


Qu’en est –il en Europe ?


2- L’Europe, des difficultés pour cadrer le brevetage du vivant.

En Amérique, il existe l’USPTO, c’est l’office américain des brevets. En Europe, il existe aussi un office européen des brevets qui n’est pas lié à l’union européenne.
En Europe, une directive encadre les conditions de l’obtention du brevet du vivant. Elle n’est pas encore transposée dans les législations nationales car elle pose de nombreux problèmes, ce qui montre une fois de plus à quel point cette notion d’appropriation du vivant fait débat. Historiquement, le brevetage du vivant existe depuis le XIXe en France. Louis Pasteur obtint par exemple en 1873, le premier brevet pour un organisme vivant : une souche de levure utilisée pour la fabrication de la bière. Cependant, cette époque n’était pas confrontée à la mondialisation et à la commercialisation en masse d’êtres vivants. Notre époque est confrontée à ce problème majeur. C’est pourquoi, une clarification du droit de propriété intellectuelle sur le vivant est nécessaire.


Qu’est-ce que la directive européenne sur la brevetabilité des inventions biotechnologiques (98/44) ?

Cette directive fut déjà rejetée en 3ème lecture au mois de mars 1995, les députés des verts ont manifesté leurs désaccords sur trois points : la notion d’invention et de découverte.
L’exclusion de la brevetabilité « procédés de modification de l’identité génétique de la personne humaine ».
L’introduction du privilège de l’agriculteur dans la directive.
La première fonction de cette directive est de faciliter la circulation des marchandises de biotechnologies en Europe. Elle visait aussi à homogénéiser les droits des différents pays de l’union européenne.


Que dit-elle ? En quoi se rapproche de la doctrine de l’USPTO ?

Article 3
1. «  Aux fins de la présente directive, sont brevetables les inventions nouvelles, impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle, même lorsqu'elles portent sur un produit composé de matière biologique ou en contenant, ou sur un procédé permettant de produire, de traiter ou d'utiliser de la matière biologique »
Cet article nous dit que les inventions sont brevetables lorsqu’elles peuvent être commercialisées. De plus tout procédé peut être breveté. Nous nous rapprochons du droit américain car ce dernier nous disait que les outils de recherche sont brevetables.

2. «. Une matière biologique isolée de son environnement naturel ou produite à l'aide d'un procédé technique peut être l'objet d'une invention, même lorsqu'elle préexistait à l'état naturel.
Ce deuxième article est directement copié sur l’USPTO. L’office américain suivant la décision Chakrabarty qui disait que tout être vivant est brevetable s’il est une création de l’homme dans un laboratoire et même s’il se trouve déjà dans la nature. Par exemple, les molécules de synthèse sont brevetables car elles sont belles et bien des inventions.


Article 4
2. « Les inventions portant sur des végétaux ou des animaux sont brevetables si la faisabilité technique de l'invention n'est pas limitée à une variété végétale ou à une race animale déterminée. »
La directive accepte une invention sur des végétaux ou animaux si et seulement si elle peut s’appliquer à plusieurs variétés végétales ou races animales.


Article 5
2. «  Un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène, peut constituer une invention brevetable, même si la structure de cet élément est identique à celle d'un élément naturel. »
Ce paragraphe peut être directement lié à la réforme de 2001 de l’office américain des brevets. Cette dernière a autorisé le brevetage de la séquence d’un gène (molécule d’ADN) ou plus précisément son utilisation, son produit, ce qu’on en fait car la directive interdit le brevetage du génome humain.


Article 6
La directive interdit directement :
a) les procédés de clonage des êtres humains;
b) les procédés de modification de l'identité génétique germinale de l'être humain;
c) les utilisations d'embryons humains à des fins industrielles ou commerciales;

Cette directive interdit le brevetage des manipulations du corps humain et veille à respecter l’éthique humaine. Ainsi, elle clarifie définitivement la position de l’UE sur le clonage humain.


Article 8 : étendu de la protection.
2. « protection conférée par un brevet relatif à un procédé permettant de produire une matière biologique dotée, du fait de l'invention, de propriétés déterminées s'étend à la matière biologique directement obtenue »
La directive permet une protection très large car lorsqu’un procédé permettant la fabrication d’une matière biologique est breveté, la matière biologique créée est aussi protégée par le brevet.


Article 11
« La commercialisation du matériel de reproduction végétal par le titulaire du brevet ou avec son consentement à un agriculteur à des fins d'exploitation agricole implique pour celui-ci l'autorisation d'utiliser le produit de sa récolte pour reproduction ou multiplication par lui-même sur sa propre exploitation »
Cet article nous permet de faire un lien direct avec le terminator de Monsanto, une grande firme américaine de biotechnologies. Monsanto avait l’intention d’introduire ce gène dans ces plantes de mais génétiquement modifiés. Ce gène a la caractéristique d’empêcher la germination de la plante. Dès lors l’agriculteur avait l’obligation de racheter de nouvelles semences à Monsanto. La directive par le biais de cet article 11 interdit ce genre de pratique.


Article 12
« Lorsqu'un obtenteur ne peut obtenir ou exploiter un droit d'obtention végétale sans porter atteinte à un brevet antérieur, il peut demander une licence. »
Cet article admet une grande flexibilité. En effet, lorsqu’une personne ne peut déposer un brevet car un brevet antérieur proche existe déjà, il a la possibilité de demander une licence pour l’exploitation évidemment non exclusive de la variété végétale à protéger.


Pour conclure, cette directive autorise :

- le brevet sur une partie du corps humain, un gène ou une séquence d’un gène à la condition qu’il a été produit par un procédé technique, ce qui permettra plus tard sa commercialisation.
- Le brevet sur une matière biologique créée à partir d’un procédé technique même si cette matière existe à l’état naturel. On peut considérer que le brevet portera sur le procédé technique ( outils de recherche par exemple) plutôt que sur la matière créée car cette matière est présent à l’état naturel. (article 3-2,8-2).
- Le brevet sur les OGM.

L’office américain des brevets autorise aussi ces trois points. Cette directive est donc copiée sur le droit américain.
Cette directive a été transposée par l’office européen des brevets qui a ajouté un nouveau chapitre appelé « inventions biotechnologiques ».
En 2005, seul 8 états membres de l’Union européenne ont transposé cette directive dans le droit national : une preuve de la difficulté de l’Europe à mettre en place une vraie communauté. En tout cas il existe tout de même un office européen des brevets qui a bel et bien transposé cette dérogation. C’est pourquoi nous pouvons dire que l’office européen des brevets se rapproche de l’office américain des brevets en ce qui concerne la brevetabilité du vivant.



3- Le cadre international.

Comme vous vous en doutiez, il existe un encadrement international sur la propriété intellectuelle.
Des négociations au sein de l’organisation mondiale du commerce ont abouti aux accords sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce. (ADPIC) en 1996.
Ces Accords visent à définir un cadre d'harmonisation des législations nationales sur les droits de propriété intellectuelle.
Ceux-ci sont des droits attribués à des acteurs privés pour leur contribution au développement de nouvelles technologies et leur donnent le contrôle sur l'innovation qu'ils ont produite, ces droits pouvant prendre différents formes : brevets, marques déposées, copyrights...


Que disent ces accords ?

Selon l'article 27-1 « un brevet pourra être obtenu pour toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les domaines technologiques, à condition qu'elle soit nouvelle, qu'elle implique une activité inventive et qu'elle soit susceptible d'application industrielle ».
Le vivant est concerné puisqu'il s'agit de toute invention dans tous les domaines technologiques. Il y a également dans cet article la reprise des critères classiques du brevet : nouveauté, invention et application industrielle.
Tous les pays membres de l’OMC doivent incorporer ces ADPIC dans leurs droits nationaux respectifs. Actuellement, environ 130 pays sont membres de l’OMC. Ils doivent tous accepter ces accords. Ces accords nous donnent un aperçu global de ce qui en est de la brevetabilité du vivant dans le monde.
Ces termes nous rappellent le droit sur la brevetabilité du vivant en Amérique, Europe, ce qui prouve la domination de ces deux régions. Il était donc légitime d’étudier leurs dispositions car ces dernières s’appliquent sur un cadre mondial.


Mais quels sont les enjeux de cette harmonisation du droit sur le vivant. Quels intérêts trouvent les multinationales françaises ou américaines concevant les OGM et quelles sont ces firmes ?

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